Avec son livre «Un million de révolutions tranquilles», la journaliste Bénédicte Mannier déconstruit le dogme thatchérien du «There is no alternative» et redonne le sourire et l’envie d’agir à tous ceux qui avaient abandonné tout espoir dans le changement. Pour l’auteur, un autre monde est non seulement possible, mais il existe déjà.
A Tel Aviv, en août 2011 dans le cadre d’une manifestation contre le coût de la vie
REUTERS/Baz Ratner
«There is no alternative».
Un million de révolutions tranquilles Bénédicte Manier
Vu sur http://actuwiki.fr/ et http://www.elishean.fr/aufeminin/
Si Margareth Thatcher touchait des
royalties à chaque fois que ces quatre mots étaient prononcés, elle
serait probablement multimilliardaire. En effet, depuis plus de trente
ans, les têtes de gondoles de l’intelligentsia libérale n’ont eu de
cesse de nous expliquer qu’il n’y avait point de salut en dehors du
marché, de la concurrence mondialisée, de la baisse du «coût du travail»
et des dépenses de l’État.
«There is no alternative». Cette «arme rhétorique redoutable»
a servi à légitimer les coupes qu’ont subi l’État providence et le
droit du travail depuis la contre révolution libérale des années 70/80.
Toute proposition ne rentrant pas dans le cadre de référence qu’est
devenu le libéralisme mondialisé étant considérée, au mieux, comme
irréalisable et utopiste.
Avec son livre Un million de révolutions tranquilles,
la journaliste Bénédicte Mannier déconstruit ce dogme et envoie dans
les cordes la Dame de fer et ses disciples. Ce n’est d’ailleurs pas un
hasard si, dès la première page, en réponse à Thatcher, elle cite une
phrase de Susan Georges, tout aussi laconique et formelle: «There are thousands of alternatives» (il y a des milliers d’alternatives).
Pour le prouver, elle est partie à la rencontre d’hommes et de femmes qui changent le monde concrètement, à leur échelle.
En parcourant ce livre, on apprend qu’en
Inde, les habitants de la région désertique du Rajasthan ont réussi à
réhydrater les sols en creusant eux-mêmes des puits, assurant ainsi leur
autosuffisance alimentaire et leur permettant de dégager des revenus.
En France, des citoyens réunis en
association qui investissent leur épargne dans des projets liés à
l’économie locale ont déjà aidé un millier d’entreprises.
Aux Pays-Bas, des groupements se sont créés pour ériger des habitats partagés, respectueux de l’environnement, insensibles à la spéculation
immobilière et créateurs de lien social puisqu’ils regroupent
volontairement jeunes et personnes âgées. Tandis qu’en Espagne, des
groupes de prêts autofinancés se sont développés pour palier les galères
du quotidien. Tout au long de l’ouvrage, elle égraine par dizaines les
exemples de ce type.
Coopératives, autarcie énergétique: un autre monde existe déjà.
L’auteure met un point d’honneur à
souligner le caractère viable des projets qu’elle rapporte. Elle ne se
contente pas d’affirmer qu’un autre monde est possible, elle nous montre
qu’il existe déjà.
On y apprend par exemple que les
coopératives emploient 100 millions de personnes dans le monde, soit 20%
de plus que les multinationales. Ou qu’en 2010 aux États-Unis, 750.000
familles vivaient en autarcie énergétique grâce aux énergies 100%
renouvelables.
L’entreprise, l’environnement,
la démocratie, la monnaie, l’agriculture, l’habitat… rares sont les
domaines qui sont épargnés par ces «révolutions tranquilles».
Cet ouvrage est un recueil de chroniques d’un monde qui change, tranquillement mais inexorablement. «Au
sein d’un capitalisme sans issue s’esquissent, lentement, en de
multiples endroits de la planète, les contours d’une société plus
participative, plus solidaire, plus humaine», analyse-t-elle.
La plupart des citoyens qu’elle a
rencontré utilisent les technologies modernes pour développer leurs
projets, mais les idées qui les animent n’ont rien de nouvelles.
Ils se sont simplement rendus compte que
les solutions à leurs problèmes pouvaient se trouver dans leurs
traditions, les valeurs ancestrales de l’échange, du don et de
l’association. C’est par exemple en se basant sur des techniques
d’irrigation traditionnelles que des paysans ont pu rendre leurs terres
de nouveau fertiles tout en s’émancipant des multinationales.
Utopies concrètes
Quant aux coopératives, elles remontent
aux XIXème siècle. Si elles ont connu un boom récemment, c’est parce que
les fermetures d’usines en pagaille n’ont laissé d’autre choix aux
ouvriers que de s’associer pour subsister. «En général, ce qu’ils inventent est révélateur des maux qu’ils doivent affronter», note-t-elle.
Convaincant, parce qu’il traite
d’utopies concrètes, l’ouvrage a de quoi redonner le sourire et l’envie
d’agir à tous ceux qui avaient abandonné tout espoir dans le changement.
En ce sens, il est salvateur, car le pessimisme ambiant ne fait que
nous conforter dans l’idée qu’il n’y a pas d’alternative au système
actuel. Ici, Bénédicte Mannier nous livre un récit enthousiasmant et
positif.
Elle prend son bâton de pèlerin et donne
de la visibilité à ces initiatives dont on entend trop peu parler. Ce
livre n’est pas un énième pamphlet sur le fonctionnement et les méfaits
de la pensée unique libérale. Certes, l’auteure en souligne les limites
et les aberrations, mais c’est à chaque fois pour montrer comment
celles-ci ont été dépassées par de simples citoyens, fatigués d’être les
éternels perdants de la «mondialisation heureuse».
Une arme contre la résignation
Alors que l’immense majorité de
l’ouvrage est dédié à la description des mutations en cours, l’auteure
tente de rendre le tout cohérent dans le dernier chapitre. Exercice
périlleux tant il est plus aisé de jouer les Cassandre que de faire le
pari de l’«intelligence collective». Là encore, la journaliste s’en sort avec brio:
«La reprise en main par les citoyens des enjeux qui les concernent est une histoire qui semble constamment en train de s’écrire et qui devrait, dans les années qui viennent être l’objet d’un intérêt croissant.»
Pour Bénédicte Mannier, si ces mutations sont encore «largement ignorées», c’est qu’«elles
naissent et se développent silencieusement, au sein de catégories
sociales que l’on croyait acquises aux valeurs néo-libérales mais qui,
aujourd’hui s’en détachent et inventent des formes plus solidaires de
travail, d’habitat, de consommation ou de vie sociale».
Elle réfute l’idée qui voudrait que la population mondiale soit résignée et prête à endurer sans réagir les maux auxquels semblent nous destiner la société actuelle.
«Alors, apathique, résignée la
société civile? Elle n’a en réalité jamais été aussi lucide, aussi
intelligente. Elle découvre aujourd’hui sa force collective, exprime une
pensée critique articulée qui signe la fin de l’hégémonie culturelle
néolibérale et clame son exigence de changements concrets», se réjouit l’auteure.
Selon elle, cette aspiration à une société plus juste est d’autant plus inexorable que le modèle consumériste ne convainc plus et que les alternatives qui lui sont opposées dépassent l’anachronique clivage gauche/droite.
«À leur origine, il n’y a souvent ni
théorie, ni théoricien: pour ces citoyens qui agissent, il s’agit
simplement de trouver les réponses aux problèmes locaux (pertes
d’emploi, dévitalisation des campagnes…) ou de mettre en œuvre des
solutions qui dépassent les affrontements partisans (énergies
renouvelables, démocratie participative…)».
Et ces initiatives ne sont pas marginales. D’après une étude, ces citoyens engagés d’un genre nouveau, appelés «créatifs culturels», représenteraient entre 12 et 25% des habitants de leurs pays.
Un ouvrage de combat.
Pour l’auteur, la révolution est en marche.
«Agir localement donne un visage réel au changement. En effet chaque fois qu’ils reprennent une forme de contrôle sur leur économie locale, leur travail, leur monnaie, leur consommation, leur milieu naturel, les citoyens déconstruisent la mondialisation. Ils ramènent la gestion de la res publica (chose publique) à leur échelle, en lui imposant leurs propres règles, plus justes, ils façonnent le monde idéal qui leur échappe à l’échelle globale. Ils redonnent alors à leur vie un nouveau sens, inventent une façon de vivre qui leur convient et, surtout prennent conscience de leur pouvoir d’action».
Parce qu’il est résolument optimiste, Un million de révolutions tranquilles
est un ouvrage de combat. C’est une invitation implicite à l’action.
Car, même si l’auteure n’interpelle jamais directement le lecteur, elle
lui fait comprendre qu’il n’a plus d’excuse.
En effet, ce livre nous montre qu’une
autre façon de vivre est à notre portée et qu’il existe des milliers de
façons de s’engager sans avoir à attendre un hypothétique grand soir.
En ces temps moroses où futur
rime avec dégradation de nos conditions de vie, cet ouvrage présente le
présent et l’avenir sous des perspectives réjouissantes. Et ça fait un bien fou.
Pour autant, il se garde de tout angélisme. L’auteure
sait que l’installation d’un parc éolien autogéré dans le fin fond de
la France ne mettra pas à terre l’ogre capitaliste. Mais, au delà des
conséquences que ces millions de révolutions tranquilles génèrent
(redynamisation de l’économie locale, lutte contre la malbouffe,
création d’emplois et de lien social…), c’est ce qu’elles nous disent
sur la société qui importe à l’auteure.
Elle voit dans ces mouvements le reflet de «la conscience retrouvée des citoyens à pouvoir agir sur leur destinée commune». Comme Eluard, elle pense qu’«un nouveau monde existe, il est dans celui-ci». Reste maintenant à savoir si la société est assez mûre pour que ces «révolutions tranquilles» prennent une l’ampleur suffisante, au point d’ébranler les principes dépassés qui régissent encore le vieux monde.
Emmanuel Daniel sur slateUn million de révolutions tranquilles Bénédicte Manier
Vu sur http://actuwiki.fr/ et http://www.elishean.fr/aufeminin/
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