samedi 15 octobre 2011

Bon Jour ! Bon Samedi !

 S'informer, c'est bien aussi...

Naomi Klein, journaliste canadienne et auteur de La
> Stratégie du choc, était invitée à s’exprimer par le
> mouvement Occupy Wall Street
, à New York. Selon elle, ce
> mouvement va durer, car le combat contre le système
> économique « injuste et hors de contrôle » prendra des
> années. Objectif : renverser la situation en montrant que
> les ressources financières existent, qui permettraient de
> construire une autre société.
  > J’ai été honorée d’être invitée à parler [le 29 septembre]
> devant les manifestants d’Occupons Wall Street. La
> sonorisation ayant été (honteusement) interdite, tout ce que
> je disais devait être répété par des centaines de personnes,
> pour que tous entendent (un système de « microphone humain
> »). Ce que j’ai dit sur la place de la Liberté a donc été
> très court. Voici la version longue de ce discours [publiée
> initialement en anglais dans Occupy Wall Street Journal].
>
> Je vous aime.

> Et je ne dis pas cela pour que des centaines d’entre vous me
> répondent en criant « je vous aime ». Même si c’est

> évidemment un des avantages de ce système de « microphone
> humain ». Dites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous
> redisent, encore plus fort.
>
> Hier, un des orateurs du rassemblement syndical a déclaré :
> « Nous nous sommes trouvés. » Ce sentiment saisit bien la
> beauté de ce qui se crée ici. Un espace largement ouvert –
> et une idée si grande qu’elle ne peut être contenue dans
> aucun endroit – pour tous ceux qui veulent un monde
> meilleur. Nous en sommes tellement reconnaissants.
>
> S’il y a une chose que je sais, c’est que les 1 % [les plus
> riches] aiment les crises.
Quand les gens sont paniqués et
> désespérés, que personne ne semble savoir ce qu’il faut
> faire, c’est le moment idéal pour eux pour faire passer leur
> liste de vœux, avec leurs politiques pro-entreprises :
> privatiser l’éducation et la Sécurité sociale, mettre en
> pièces les services publics, se débarrasser des dernières
> mesures contraignantes pour les entreprises. Au cœur de la
> crise, c’est ce qui se passe partout dans le monde.
>
> Et une seule chose peut bloquer cette stratégie. Une grande
> chose heureusement : les 99 %. Ces 99 % qui descendent dans
> les rues, de Madison à Madrid, en disant : « Non, nous ne
> paierons pas pour votre crise. »

>
>
>
> Ce slogan est né en Italie en 2008. Il a ricoché en Grèce,
> en France, en Irlande, pour finalement faire son chemin
> jusqu’à l’endroit même où la crise a commencé.
>
> « Pourquoi protestent-ils ? » demandent à la télévision les
> experts déroutés. Pendant ce temps, le reste du monde
> demande : « Pourquoi avez-vous mis autant de temps ? », « On
> se demandait quand vous alliez vous manifester ». Et la
> plupart disent : « Bienvenus ! »
>
> Beaucoup de gens ont établi un parallèle entre Occupy Wall
> Street et les manifestations « antimondialisation » qui
> avaient attiré l’attention à Seattle en 1999. C’était la
> dernière fois qu’un mouvement mondial, dirigé par des
> jeunes, décentralisé, menait une action visant directement
> le pouvoir des entreprises. Et je suis fière d’avoir
> participé à ce que nous appelions alors « le mouvement des
> mouvements ».
>
> Mais il y a aussi de grandes différences. Nous avions
> notamment choisi pour cibles des sommets internationaux :
> l’Organisation mondiale du commerce, le FMI, le G8. Ces
> sommets sont par nature éphémères, ils ne durent qu’une
> semaine. Ce qui nous rendait nous aussi éphémères. On
> apparaissait, on faisait la une des journaux, et puis on
> disparaissait. Et dans la frénésie d’hyperpatriotisme et de
> militarisme qui a suivi l’attaque du 11 Septembre, il a été
> facile de nous balayer complètement, au moins en Amérique du
> Nord.
>
> Occupy Wall Street, au contraire, s’est choisi une cible
> fixe. Vous n’avez fixé aucune date limite à votre présence
> ici. Cela est sage. C’est seulement en restant sur place que
> des racines peuvent pousser. C’est crucial. C’est un fait de
> l’ère de l’information : beaucoup trop de mouvements
> apparaissent comme de belles fleurs et meurent rapidement.
> Parce qu’ils n’ont pas de racines. Et qu’ils n’ont pas de
> plan à long terme sur comment se maintenir. Quand les
> tempêtes arrivent, ils sont emportés.
>
> Être un mouvement horizontal et profondément démocratique
> est formidable. Et ces principes sont compatibles avec le
> dur labeur de construction de structures et d’institutions
> suffisamment robustes pour traverser les tempêtes à venir.
> Je crois vraiment que c’est ce qui va se passer ici.
>
>
>
> Autre chose que ce mouvement fait bien : vous vous êtes
> engagés à être non-violents. Vous avez refusé de donner aux
> médias ces images de fenêtres cassées ou de batailles de rue
> qu’ils attendent si désespérémen
t. Et cette prodigieuse
> discipline de votre côté implique que c’est la brutalité
> scandaleuse et injustifiée de la police que l’histoire
> retiendra. Une brutalité que nous n’avons pas constatée la
> nuit dernière seulement. Pendant ce temps, le soutien au
> mouvement grandit de plus en plus. Plus de sagesse.
>
> Mais la principale différence, c’est qu’en 1999 nous
> prenions le capitalisme au sommet d’un boom économique
> frénétique. Le chômage était bas, les portefeuilles
> d’actions enflaient. Les médias étaient fascinés par
> l’argent facile. À l’époque, on parlait de start-up, pas de
> fermetures d’entreprises.
>
> Nous avons montré que la dérégulation derrière ce délire a
> eu un coût. Elle a été préjudiciable aux normes du travail.
> Elle a été préjudiciable aux normes environnementales. Les
> entreprises devenaient plus puissantes que les
> gouvernements, ce qui a été dommageable pour nos
> démocraties. Mais, pour être honnête avec vous, pendant ces
> temps de prospérité, attaquer un système économique fondé
> sur la cupidité a été difficile à faire admettre, au moins
> dans les pays riches.
>
> Dix ans plus tard, il semble qu’il n’y ait plus de pays
> riches. Juste un tas de gens riches. Des gens qui se sont
> enrichis en pillant les biens publics et en épuisant les
> ressources naturelles dans le monde.
>
> Le fait est qu’aujourd’hui chacun peut voir que le système
> est profondément injuste et hors de contrôle. La cupidité
> effrénée a saccagé l’économie mondiale. Et elle saccage
> aussi la Terre. Nous pillons nos océans, polluons notre eau
> avec la fracturation hydraulique et le forage en eaux
> profondes, nous nous tournons vers les sources d’énergie les
> plus sales de la planète, comme les sables bitumineux en
> Alberta. Et l’atmosphère ne peut absorber la quantité de
> carbone que nous émettons, créant un dangereux
> réchauffement. La nouvelle norme, ce sont les catastrophes
> en série. Économiques et écologiques.
>
>
>
> Tels sont les faits sur le terrain. Ils sont si flagrants,
> si évidents, qu’il est beaucoup plus facile qu’en 1999 de
> toucher les gens, et de construire un mouvement rapidement.
>
> Nous savons tous, ou du moins nous sentons, que le monde est
> à l’envers : nous agissons comme s’il n’y avait pas de
> limites à ce qui, en réalité, n’est pas renouvelable – les
> combustibles fossiles et l’espace atmosphérique pour
> absorber leurs émissions. Et nous agissons comme s’il y
> avait des limites strictes et inflexibles à ce qui, en
> réalité, est abondant – les ressources financières pour
> construire la société dont nous avons besoin.
>
> La tâche de notre époque est de renverser cette situation et
> de contester cette pénurie artificielle. D’insister sur le
> fait que nous pouvons nous permettre de construire une
> société décente et ouverte, tout en respectant les limites
> réelles de la Terre.
>
> Le changement climatique signifie que nous devons le faire
> avant une date butoir. Cette fois, notre mouvement ne peut
> se laisser distraire, diviser, épuiser ou emporter par les
> événements. Cette fois, nous devons réussir. Et je ne parle
> pas de réguler les banques et d’augmenter les taxes pour les
> riches, même si c’est important.
>
> Je parle de changer les valeurs sous-jacentes qui régissent
> notre société. Il est difficile de résumer cela en une seule
> revendication, compréhensible par les médias. Et il est
> difficile également de déterminer comment le faire. Mais le
> fait que ce soit difficile ne le rend pas moins urgent.
>
> C’est ce qui se passe sur cette place, il me semble. Dans la
> façon dont vous vous nourrissez ou vous réchauffez les uns
> les autres, partageant librement les informations et
> fournissant des soins de santé, des cours de méditation et
> des formations à « l’empowerment ». La pancarte que je
> préfère ici, c’est : « Je me soucie de vous. »
Dans une
> culture qui forme les gens à éviter le regard de l’autre et
> à dire : « Laissez-les mourir », c’est une déclaration
> profondément radicale.
>
>
>
> Quelques réflexions finales. Dans cette grande lutte, voici
> quelques choses qui ne comptent pas :
>
> Comment nous nous habillons, Que nous serrions nos poings ou
> faisions des signes de paix, Que l’on puisse faire tenir nos
> rêves d’un monde meilleur dans une phrase-choc pour les
> médias.
>
> Et voici quelques petites choses qui comptent vraiment :
> Notre courage, Notre sens moral, Comment nous nous traitons
> les uns les autres.
>
> Nous avons mené un combat contre les forces économiques et
> politiques les plus puissantes de la planète. C’est
> effrayant. Et tandis que ce mouvement grandit sans cesse,
> cela deviendra plus effrayant encore. Soyez toujours
> conscients qu’il y a aura la tentation de se tourner vers
> des cibles plus petites – comme, disons, la personne assise
> à côté de vous pendant ce rassemblement. Après tout, c’est
> une bataille qui est plus facile à gagner.
>
> Ne cédons pas à la tentation. Je ne dis pas de ne pas vous
> faire mutuellement des reproches. Mais cette fois,
> traitons-nous les uns les autres comme si on prévoyait de
> travailler ensemble, côte à côte dans les batailles, pour de
> nombreuses années à venir. Parce que la tâche qui nous
> attend n’en demandera pas moins.
>
> Considérons ce beau mouvement comme s’il était la chose la
> plus importante au monde. Parce qu’il l’est. Vraiment.
>
> Naomi Klein, le 6 octobre 2011
>
> Discours publié dans Occupied Wall Street Journal. A lire :
> le blog de Naomi Klein (en anglais).
>
> http://www.naomiklein.org/main
>
> Traduction : Agnès Rousseaux / Basta !
>
> Photos : © Source, Kelly Davis, Mar is Sea Y
>
> soutenir le mouvement : http://www.avaaz.org/fr/the_world_vs_wall_st_fr/?cl=1329818375&v=10683

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